Réaction de STR-Belgium suite à la pose de scellés sur un hébergement touristique non hôtelier dans le centre-ville

Reportage Bruzz / Reportage BX1

La Ville de Bruxelles a posé des scellés sur un hébergement touristique non hôtelier dans le centre de Bruxelles ce lundi 13 novembre 2023.  Ceci a été relayé par la presse bruxelloise.

Les reportages de Bruzz et BX1 appellent plusieurs commentaires : 

  • Tout d’abord, on saluera le reportage beaucoup plus nuancé de BX1 qui donne la parole aux principaux acteurs concernés (les touristes et le secteur de la résidence de tourisme) et évoque la régulation européenne du secteur à venir.

  • Revenons sur l’introduction stigmatisante du journaliste dans son introduction dans Bruzz24 :

  • « le propriétaire louait des chambres de façon illégale à des touristes »
    • Le terme « illégal » est souvent utilisé à souhait par les détracteurs de la résidence de tourisme.  Il convient cependant de différencier toute la palette d’illégalité dans laquelle différents types d’acteurs évoluent.  La figure 1 ci-dessous illustre 3 acteurs différents.  Ils sont tous « illégaux » mais l’on peut logiquement convenir qu’il vaut mieux éliminer l’acteur 3 du secteur, que les acteurs 1 et 2 …

Figure 1 – Palette d’illégalité des acteurs

  • « La majorité des acteurs à Bruxelles sont des acteurs professionnels qui exploitent plusieurs biens »
    • La figure 2 appelle de la nuance sur cette affirmation.  En consultant Inside Airbnb pour (la Région de) Bruxelles-Capitale, on voit que 50% des exploitants ont 1 seule unité publiée sur Airbnb.  Mais il convient surtout de bien se rendre compte que les exploitants de plusieurs unités peuvent simplement acter comme « Property Managers » ou conciergerie et que ces exploitants ne sont donc pas nécessairement multi-propriétaires, mais permettent de générer des revenus pour des propriétaires individuels qui souhaitent maintenir leur pouvoir d’achat ou disposer de moyens suffisants pour entretenir leur bien.  

Figure 2 – Taille des hébergeurs

  • Enfin, et c’est bien entendu l’affirmation la plus sensationnelle quand elle est exprimée ainsi sans nuance, « l’activité de ces professionnels de la résidence de tourisme constitue une menace pour le marché du logement ». Nous revenons en détail sur cette thématique du logement plus loin dans cette section.

Ensuite, revenons sur les dires de l’Echevine de l’Urbanisme, Mme Maes :

  • L’Echevine souligne d’abord qu’Airbnb ne serait destiné qu’aux particuliers qui louent leur appartement/maison dans leur entièreté ou une chambre de leur appartement/maison, et ce pour une période de maximum 120 jours

Il convient d’abord de préciser : la catégorie « hébergement chez l’habitant » (= 1 ou plusieurs chambres dans un appartement ou une maison) de l’ordonnance du 8 mai 2014 selon son article 10 – §1er – 2° c) stipule que (la partie de) l’hébergement mis à disposition du touriste doit être disponible pour accueillir des touristes au moins quatre mois par an (minimum 120j) tandis qu’une résidence de tourisme (= l’entièreté d’un appartement ou une maison) dans laquelle l’exploitant a établi sa résidence principale ne peut effectivement être louée que maximum 120j par an.

Mais plus fondamentalement, il faut rappeler :

  • que des résidences de tourisme se louaient dans leur entièreté toute l’année bien avant l’avènement d’Airbnb (<< 2015)

  • que les habitudes de consommation des touristes évoluent, et que certainement suite à la crise covid, de l’autonomie est recherchée par beaucoup de touristes qui ne souhaitent pas nécessairement partager leur location avec un habitant, sans parler de l’exigence des touristes en matière de qualité des prestations délivrées

  • que ces affirmations ne tiennent aucunement compte de la demande en résidences de tourisme (voir chiffres de la Commission Européenne dans la rubrique « Statements » du site), à savoir : est-ce que Bruxelles aura suffisamment d’habitants qui souhaiteront/pourront s’engager dans le partage/mise à disposition de leur habitation ?  Est-ce que cette catégorie de la population n’est pas limitée à un certain type (eg expatriés) qui résultera malencontreusement dans la concentration de l’offre dans certaines périodes de l’année ?

  • Ensuite, l’Echevine semble dire que l’activité est majoritairement professionnelle à Bruxelles, mais aussi de façon plus large, dans toutes les communes de la Région de Bruxelles-Capitale.  Nous pouvons dès lors affirmer que ce statement est faux et référer à notre argumentation ci-dessus et à la figure 2.  Ce qui est encore plus interpellant : selon l’échevine, beaucoup de sociétés exploiteraient plus de 100 unités et ceci ne cadre pas avec les plans de la Ville.  Tout d’abord, on peut s’interroger au regard de la figure 3 sur la véracité de cette annonce (seul un exploitant aurait en effet plus de 100 unités) mais surtout, il convient de signaler que la Région de Bruxelles-Capitale n’autorise – avec sa réglementation actuelle, et probablement future, qui sera contestée – aucun exploitant professionnel.  En effet, la Région de Bruxelles-Capitale n’autorise que les 2 catégories précitées (Résidence de tourisme < 120 jours ; Hébergement chez l’habitant > 120 jours) pour lesquelles il faut effectivement, comme le souligne L’Echevine, avoir établi sa résidence principale dans les lieux.  On peut s’interroger sur cette position de la Ville de Bruxelles, relativement unique en Europe, alors que Bruxelles est bien moins sous pression touristique que d’autres grandes villes européennes (voir la comparaison Bruxelles – Barcelone dans la rubrique « Statements » du site). Tenter de cliver les particuliers et professionnels de cette façon est regrettable. Il faut donc l’exprimer clairement : si la location de 100 unités n’est pas souhaitée par la Ville (et la Région), il en va malheureusement de même pour une location d’une seule unité pour plus de 120 jours par an ! Est-ce bien raisonnable des Autorités Bruxelloises de penser qu’elles vont pouvoir interdire complètement de la sorte une activité professionnelle au regard du droit européen alors que cette activité professionnelle, certes régulée, existe partout ailleurs ?!  

Figure 3 – Top hébergeurs en RBC

  • Enfin, il est important de revenir sur la « menace » que constitue l’activité de location de résidences de tourisme pour le logement.  Où sont les chiffres de l’Echevine pour soutenir cette affirmation ?  Comment peut-elle affirmer que la politique d’interdiction de location des résidences de tourisme menée par la majorité bruxelloise aura un effet bénéfique sur la disponibilité à prix raisonnable des logements pour les bruxellois ? Il nous paraît évident que La diminution drastique de l’offre en résidences de tourisme aura un impact de fréquentation à Bruxelles (prix des chambres d’hôtels rébarbatifs pour bon nombre de touristes, perte d’un segment de l’offre bien adapté à un certain profil de touristes (familles, groupes d’amis, …) – voir interventions des touristes dans le reportage de BX1). Cette diminution de l’offre en résidences de tourisme générera aussi inévitablement des pertes d’emplois dans tout un écosystème (blanchisserie, nettoyage, services associés, …) , dans le secteur des restaurants et cafés qui vont perdre des clients, … Mais les effets tangibles de cette politique d’interdiction sur le marché des logements bruxellois restent à démontrer.  Nous renvoyons le lecteur à des documents utiles pour forger leur opinion sur cette thématique complexe :

  • L’article du Soir du 19 octobre dernier « Pourquoi les loyers des logements ont-il augmenté ? » qui ne pointe nullement l’effet de la résidence de tourisme mais bien d’autres facteurs.  Et dont la conclusion est limpide : « il faut développer le parc immobilier public et notamment social, soit une offre qui sort des logiques pures de marché »
  • L’étude de Strategy& de PwC pour la France commentée dans la section Etude de notre site et qui pointe clairement les logements vacants (à l’abandon/inoccupés) comme source principale de la crise du logement et relativise grandement les effets de la présence de résidence de tourisme – voir conclusions en page 16.  A cet égard, il serait bon que le Gouvernement poursuive sur sa lancée (cfr article du Soir du 8 novembre 2023) et assouplisse un tant soit peu sa politique pour effectivement réguler (et non interdire) le marché de la résidence de tourisme, en considérant attentivement les contraintes et opportunités.

Enfin, l’intervention du chercheur Hugo Périlleux-Sanchez suscite les réactions suivantes :

  • La location des résidences de tourisme « n’est clairement pas le 1er facteur de la crise de logement à Bruxelles » … Il serait bon – à l’instar de l’étude PwC toute récente pour la France mentionnée ci-dessus, que l’analyse soit réalisée pour la Région de Bruxelles-Capitale : quels sont les facteurs et les leviers pour résoudre la crise du logement dans une recherche d’optimum global ?

  • On peut se douter dans une logique d’offre et de demande, que l’offre en hébergements touristiques va s’installer dans des proportions en regard de la demande.  Et les chiffres différentiés avancés par le chercheur constituent la démonstration évidente du bien-fondé de l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne dans le cas de Cali Apartments : les règles proportionnées ne se justifient pas in globo, ni au niveau d’une commune, mais quartier par quartier !

  • si l’on peut comprendre qu’il faut réguler le secteur dans les quartiers à haute pression touristique, il ne faut néanmoins pas brimer l’offre dans ces quartiers.  Par ailleurs, d’autres considérations devraient être menées par les autorités en terme d’aménagements des quartiers du centre historique et de l’équilibre des différentes  fonctions (logements, … hôtels, résidences de tourisme, … commerces, horeca, … ) grâce à un PRAS granulaire revisité par le projet Share the City.

Pointons encore quelques éléments dans le reportage de BX1 :

  • quand l’Echevine précise que « chaque unité airbnb mise en location courte durée est une unité que le bruxellois ne peut pas louer ou acheter », elle pourrait aussi dire « que chaque unité qu’elle va retirer du marché de location court terme par la politique d’interdiction (de la Région) est une unité que le touriste ne pourra plus louer et que cela contribuera aux risques évoqués ci-dessus : augmentation du prix des chambres d’hôtel ou fuite des touristes vers d’autres destinations (comme d’ailleurs confirmé par les principaux intéressés), avec les conséquences désastreuses pour l’économie bruxelloise ».  Avec un peu de courage politique, n’y-a-t’il vraiment pas moyen de trouver un meilleur équilibre ? 

  • En ce qui concerne l’harmonisation des règles au niveau européen : le journaliste anticipe …  Le projet de régulation de la Commission Européenne vise tout d’abord à apporter de la transparence sur les données afin de définir des règles proportionnées pour le marché.  Plus d’informations dans notre section Actualité.